Tamari Langlais, conseillère scientifique
Plusieurs parallèles peuvent être tracés entre les changements climatiques et la COVID-19. Il s’agit de deux problèmes mondiaux complexes, dont l’évolution comporte une grande part d’incertitude et dont la solution requière une réponse basée sur la science1 et un niveau de coordination inédit entre pays. La reprise économique qui s’orchestre actuellement présente des opportunités de reconstruire l’économie sur des bases plus durables, mais aussi des risques de recul.

Le confinement généralisé, la fermeture des frontières et l’arrêt de nombreuses activités économiques devraient se traduire par une baisse des émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’ordre 4,2 à 7,5 % pour l’année 2020. Il serait nécessaire de maintenir un taux comparable à celui-ci année après année et pendant plusieurs décennies, pour que l’augmentation moyenne des températures terrestres se limite à 1,5 °C2. Si plusieurs se réjouissent de cette diminution, voyant là une preuve que le monde est capable d’agir contre les changements climatiques3, d’autres constatent que plusieurs gouvernements, impatients de relancer l’économie, ferment déjà les yeux sur les possibles impacts environnementaux de cette reprise4.
Reprise verte à l’honneur
La 11e édition du Dialogue de Petersberg sur le climat, qui s’est tenue en ligne les 27 et 28 avril derniers à l’initiative de l’Allemagne, visait à faire progresser les négociations sur les changements climatiques afin que les plans de relance nationaux post-pandémie soient compatibles avec l’accord de Paris. Les ministres de 35 pays, dont le Canada, y ont pris part5. L’utilisation de stimulus économiques pour favoriser le développement d’une résilience mondiale face aux défis futurs, qu’ils soient sanitaires ou climatiques, était au cœur de toutes les allocutions.
L’idée d’axer l’aide à la reprise économique sur les changements climatiques et la santé publique a d’ailleurs fait l’objet d’une lettre s’adressant aux dirigeants du G20, signée par un regroupement d’associations représentant plus de 40 millions de professionnels de la santé à travers le monde, dont le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, l’Association médicale canadienne, le Collège québécois des médecins de famille et la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec6.
De nouvelles habitudes durables?
Le confinement, le gel de grands pans de l’économie et les pertes d’emplois qui en ont découlé ont entraîné une baisse généralisée de la consommation7. Le confinement aura aussi permis à des milliers de Québécois d’expérimenter un mode de vie différent, plus frugal, et d’adopter de nouvelles habitudes : cuisiner davantage, jardiner, marcher, utiliser moins de cosmétiques, etc. Même si plusieurs y ont pris goût8, perdureront-elles au-delà de la crise? À moyen terme, le maintien de ces habitudes de consommation pourrait résulter non pas d’un choix, mais du manque de ressources financières, qui risque de perdurer plus longtemps que le confinement lui-même. Lorsqu’ils en auront à nouveau l’opportunité et les moyens, les gens redoubleront-ils d’ardeur dans leurs habitudes de consommation? Il est trop tôt pour le dire avec certitude.
Un autre changement de mode de vie auquel les Québécois risquent de s’accommoder est le télétravail, que la crise sanitaire a contribué à généraliser, notamment dans la fonction publique9 et les grandes entreprises du centre-ville de Montréal10. Si cela se traduisait par une diminution de l’utilisation des transports, il en résulterait une baisse des émissions de GES. Certaines études indiquent toutefois que les télétravailleurs tendent à compenser par des déplacements à d’autres fins que leur emploi et que, au final, le kilométrage total parcouru pourrait même augmenter11.
La crise a également entraîné une hausse subite de popularité de la marche et du vélo12. Ceci a poussé plusieurs municipalités à réaménager certaines rues pour faire davantage place aux piétons et aux cyclistes13,14. Ces aménagements demeurent transitoires, mais la crise sanitaire pourrait encourager les gouvernements et municipalités à investir dans des aménagements plus pérennes, comme le verdissement des espaces urbains.
Économie contre environnement?
La réouverture des entreprises dans un contexte de distanciation physique engendre des coûts additionnels importants qui finiront par se répercuter sur les prix à la consommation, dont celui des aliments. Ce dernier, en particulier, augmente quatre fois plus rapidement que celui des autres biens15. L’impact sur les budgets des ménages pourrait bien avoir raison de leurs bonnes résolutions en matière de consommation locale et responsable.
Malgré les discussions encourageantes tenues lors du Dialogue de Petersberg sur le climat, il existe un fort risque que les gouvernements, portés par une vision à court terme, tentent de stimuler l’économie en investissant dans les mêmes secteurs polluants qui prédominaient avant la pandémie16. C’est ce qui se passe en Chine, où la pollution de l’air a déjà dépassé les niveaux d’avant la crise17.
Le secteur des énergies fossiles a été considérablement affaibli par la baisse de la demande entraînée par la gestion de la pandémie. Malheureusement, la diminution du prix du pétrole pourrait aussi nuire au domaine des énergies renouvelables, en rendant le pétrole plus abordable18.
Le retour du balancier?
La canicule de la fin mai a permis de constater qu’en l’absence de climatisation, le confinement pouvait rendre certaines populations vulnérables plus susceptibles de souffrir de la chaleur, notamment les personnes âgées19. Au moment d’écrire ces lignes, la possibilité de transmission du SRAS-CoV-2 par le biais de la climatisation des immeubles n’était ni établie ni exclue, des recommandations ayant été émises quant à l’importance de renouveler l’air intérieur par un apport accru d’air extérieur20. L’application de ces recommandations se traduira par un accroissement de la consommation d’énergie liée à la climatisation et au chauffage, ce qui pourrait augmenter les émissions de GES, selon le type d’énergie utilisée.
Les recommandations de distanciation physique pourraient, quant à elles, entraîner une diminution de l’utilisation des transports collectifs, un retour en force de l’automobile et un exode urbain vers les banlieues, les citadins craignant devoir se confiner à nouveau dans de petits appartements dépourvus de verdure21. Christian Savard, directeur général de Vivre en Ville, reconnaît que les villes devront changer, notamment en construisant beaucoup de logements abordables et en plantant davantage d’arbres. Rappelant que « c’est en partie aux épidémies du passé que nous devons nos égouts, nos aqueducs, nos grands parcs », il met toutefois en garde contre la reconstruction des villes sur la base du seuil impératif de distanciation physique, invoquant les graves conséquences écologiques et les coûts énormes qui en découleraient22.
Écouter les scientifiques
Est-il possible d’espérer que cette crise aura amené un changement durable dans l’opinion publique quant à l’acceptabilité de l’intervention gouvernementale et le rôle de la science dans la prise de décision pour la lutte contre les changements climatiques? Le Dr Aaron Bernstein, directeur par intérim du Center of Climate, Health and the Global Environment de l’Université Harvard, explique que les maladies infectieuses font davantage peur aux gens que les changements climatiques, car le danger qu’elles représentent est immédiat et personnel, sans compter que des mesures concrètes pour s’en protéger sont à leur portée. À l’inverse, les changements climatiques nous apparaissent comme une menace à plus long terme, moins personnelle, et dont les causes sont plus diffuses et les impacts plus variés. Il est plus facile de croire que nous n’en sommes pas personnellement responsables ou qu’ils ne nous affecteront pas directement23.
Faire d’une pierre, deux coups
Les personnes les plus susceptibles de développer des formes graves de la COVID-19 et d’en décéder sont, outre les aînés, celles souffrant de problèmes chroniques comme les maladies cardio-vasculaires et respiratoires, l’obésité et le diabète24. La pauvreté, l’itinérance, la promiscuité25 et l’exposition à la pollution atmosphérique26 constituent aussi des facteurs de vulnérabilité. Or, ces mêmes facteurs sont également source de vulnérabilité face aux changements climatiques. Plusieurs types de mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques permettraient de faire reculer le fardeau des maladies chroniques et les inégalités en matière de santé, abaissant du même coup les facteurs de vulnérabilité à la COVID-19 et aux pandémies qui pourraient survenir dans le futur. L'adoption du télétravail, la construction de logements sains et abordables selon des principes d’architecture bioclimatique, le verdissement, ainsi que le réaménagement des villes de façon à réduire la nécessité de recourir aux véhicules et à faciliter les transports actifs, en sont quelques exemples. Toutes ces mesures permettraient de faire d’une pierre, deux coups. Qu’est-ce qu’on attend?
Références
1Rouhad, E. (2020, 5 mai). What can the climate change community lean from the COVID-19 crisis? Climate Home News. Repéré à https://www.climatechangenews.com/2020/05/05/can- climate-change-community-learn-covid-19-crisis/
2Le Quéré, C., Jackson, R.B., Jones, M.W., Smith, A.J.P., Abernethy, S., Andrew, R.M., De-Gol, A.J., Willis, D.R., Shan, Y., Canadell, J.G., Friedlingstein, P., Creutzig, F. et Peters, G.P. (2020). Temporary reduction in daily global CO2 emissions during the COVID-19 forced confinement. Nature Climate Change. Répéré à https://www.nature.com/articles/s41558-020-0797-x
3Galbraith, E. et Otto, R. (2020, 24 mars). La réponse au coronavirus prouve que le monde peut agir sur les changements climatiques. L’Actualité. Répéré à https://lactualite.com/sante-et- science/la-reponse-au-coronavirus-prouve-que-le-monde-peut-agir-sur-les-changements- climatiques/
4Degnarain, N. (2020, 16 avril). Ten areas where COVID-19 responses have increased environnemental risk. Forbes. Répéré à https://www.forbes.com/sites/nishandegnarain/2020/04/16/ten-areas-where-covid-19-responses- are-leading-to-environmental-setbacks/#7e27efa54252
5Combe, M. (2020, 27 avril). Le dialogue de Pertersberg sur le climat s’ouvre en conférence vidéo. Techniques de l’Ingénieur. Repéré à https://www.techniques-ingenieur.fr/actualite/articles/le- dialogue-de-petersberg-sur-le-climat-souvre-en-conference-video-78878/
6Howard, C. et Pétrin-Desrosiers C. (2020, 27 mai). Faire le choix de la santé. La Presse +. Répéré à https://plus.lapresse.ca/screens/2596e7fc-6b84-47fa-b38c-
6f5369b53318 7C 0.html?utm_medium=ulink&utm_campaign=internal+share&utm_content=s creen
7Schmouker, O. (2020, 9 avril). Quel est l’impact réel de la COVID-19 sur la consommation?. Espressonomie, Les Affaires. Repéré à https://www.lesaffaires.com/blogues/l-economie-en- version-corsee/quel-est-l-impact-reel-de-la-covid-19-sur-la-consommation/617010
8Paré, I. (2020, 25 mai). Une modération des achats même après le déconfinement? Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/consommation/579546/une-nouvelle-frugalite
9Lévesque, F. (2020, 25 mai). Québec prend goût au télétravail. La Presse. Répéré à https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-05-25/quebec-prend-gout-au-teletravail
10Lefebvre, M. (2020, 25 mai). COVID-19 : des entreprises prêtes à adopter le télétravail à long terme. Le Journal de Montréal. Repéré à https://www.journaldemontreal.com/2020/05/25/covid-19- des-entreprises-pretes-a-adopter-le-teletravail-a-long-terme
11Robin, J. (2020). Télétravail : Attention aux distractions. Vivre en Ville. Repéré à https://vivreenville.org/nos-positions/chroniques/2020/teletravail-attention-aux- distractions.aspx?fbclid=IwAR0NQnS6J9Uqvd7oL0otO_pgj- dIg_ipFwe3xQgxdv0JhEpw7GJcwOkdCNk
12Orfali, P. (2020, 4 juin). Des habitudes qui sont là pour durer. Le Journal de Montréal. Repéré à https://www.journaldemontreal.com/2020/06/04/les-quebecois-adoptent-un-mode-de-vie-plus- doux-en-confinement
13Agence France-Presse. (2020, 15 mai). Montréal annonce un plan sans précédent pour vélos et piétons. La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-05-15/montreal-annonce-un- plan-sans-precedent-pour-velos-et-pietons
14Caillou, A. (2020, 8 juin). Québec à pied d’œuvre pour les piétons. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/transports-urbanisme/580367/quebec-a-pied-d-oeuvre-pour-les- pietons
15Charlebois, S. (2020, 31 mai 2020). La grande secousse alimentaire. La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/debats/opinions/2020-05-31/la-grande-secousse-alimentaire
16Shields, A. (2020, 19 mai). Une baisse historique des émissions de GES prévue pour 2020. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/environnement/579199/baisse-historique-des- emissions-de-ges-en-vue-pour-2020
17Center for Research on Energy and Clean Air. (2020). China’s air pollution overshooots pre-crisis levels for the first time. Répéré à https://energyandcleanair.org/wp/wp- content/uploads/2020/05/China-air-pollution-rebound-final.pdf
18Silverstein, K. (2020, 6 avril). COVID-19 is Killing Oil and Gas But the Virus Could Also poison Renewables. Forbes. Repéré à https://www.forbes.com/sites/kensilverstein/2020/04/06/covid-19- is-killing-oil-and-gas-but-the-virus-could-also-poison-renewables/#20453a9165cf
19Cousineau, M.-E. (2020, 27 mai). Affronter la COVID-19 et la canicule en CHSLD. Le Devoir. Repéré à https://www.ledevoir.com/societe/sante/579672/affronter-la-covid-19-et-la-canicule
20Comité d’experts en santé environnementale. (2020). COVID-19 : Environnement intérieur. Questions-réponses. Institut national de santé publique du Québec. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/publications/2992-environnement-interieur-qr-covid19#systeme-ventilation
21 Dubuc, A. (2020, 30 mai). Banlieue ou ville-centre, qui sortira gagnant de la crise? La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/affaires/economie/2020-05-30/banlieue-ou-ville-centre-qui- sortira-gagnant-de-la-crise
22Savard, C. (2020, 26 avril). Changeons nos villes pour le mieux. La Presse +. Repéré à https://plus.lapresse.ca/screens/6c11e4da-c3e5-4507-af99-
a2133c7e00b4 7C 0.html?utm_medium=Email&utm_campaign=Internal+Share&utm_content
=Screen&fbclid=IwAR1DTJOzXDZvkjXia-3RYfacyBFEqOIrR83E1quexOwGAsLZn-9-S76VjGU
23EHN Staff. (2020, 20 mai). Coronavirus, climate change, and the environment. Environmental Health News. Repéré à https://www.ehn.org/coronavirus-environment- 2645553060.html?rebelltitem=7#rebelltitem7
24Colpron, S. (2020, 3 mai) La vieillesse, pas le seul facteur de risque. La Presse. Repéré à https://www.lapresse.ca/covid-19/2020-05-03/la-vieillesse-pas-le-seul-facteur-de-risque
25McKie, D. (2020, 12 mai). Poverty and COVID-19: More data would help explain the connection. The National Observer. Repéré à https://www.nationalobserver.com/2020/05/12/analysis/poverty- and-covid-19-more-data-would-help-explain-connection
26Wu, X., Nethery, R.C., Sabath, B.M., Braun, D. et Dominici, F. (2020). Exposure to air pollution and COVID-19 mortality in the United States: A nationwide cross-sectional study. medRxiv. Repéré à https://www.medrxiv.org/content/10.1101/2020.04.05.20054502v2