Comment communiquer sur les changements climatiques en période de COVID-19?

1 juillet 2020 15:18:00

Maxime Boivin, chercheure à l’INSPQ et professeure associée à l’Université Laval 

La COVID-19 a propulsé la population mondiale en terre inconnue, entraînant une crise sanitaire sans précédent, doublée d’une crise économique et sociale dont les répercussions se feront sentir pour les années à venir. L’attention et les préoccupations sociales et politiques actuelles sont à raison largement centrées sur la pandémie. Néanmoins, au-delà de la situation actuelle, une autre crise subsiste : la crise climatique.

Crise

En plus d’une mortalité accrue, une panoplie de maladies cardio-vasculaires, respiratoires, infectieuses, cutanées, cancéreuses et d’impacts psychosociaux seront causés par les changements climatiques1, notamment à travers les vagues de chaleur et de froid extrême, les inondations, la pollution atmosphérique, les pollens allergènes et les zoonoses qui toucheront le Québec2. Alors que les impacts sur la santé se feront davantage sentir dans les prochaines années, les actions pour les limiter doivent être posées maintenant. La nécessité de travailler à prévenir et à s’adapter aux changements climatiques demeure aussi urgente qu’elle l’était avant la crise. Dans l’espoir de limiter les répercussions négatives qu’entraîneront les changements climatiques sur la santé humaine, l’économie et l’environnement, la transformation de certaines pratiques sur les plans sociaux, culturels, politiques, économiques et technologiques est incontournable.

Or, les efforts de communication à venir s’inscrivant en période de pandémie ou de post-pandémie doivent être revus afin de tenir compte du contexte actuel. En effet, plusieurs facteurs, en lien avec la crise actuelle, influenceront la réception des messages relatifs aux changements climatiques dans les prochaines années. Alors que certaines opportunités verront le jour, les perturbations importantes actuellement vécues entraîneront aussi d’importants écueils relatifs à la communication des changements.

Une sensibilité accrue aux crises à venir

Les perturbations importantes vécues présentement peuvent s’avérer propices à la tenue de conversations sur les changements climatiques et à l’adoption des changements nécessaires pour limiter leurs effets3,4. En effet, l’expérience de cette pandémie a pu augmenter la sensibilité des individus eu égard aux crises futures potentielles (comme les changements climatiques)5. L’adaptation forcée de plusieurs habitudes, la prise de conscience de la fragilité de la société et de la vulnérabilité des systèmes ainsi que la connexion que plusieurs ont développée avec la nature pendant cette période peuvent jeter les bases d’une transformation sociale favorable protégeant à la fois la santé, l’économie et l’environnement6. En outre, la situation actuelle a aussi mis en lumière les capacités individuelles et collectives à se rallier autour d’un objectif commun.

Forts de cette expérience où les changements individuels se sont intégrés aux changements systémiques pour limiter les impacts collectifs de la COVID-19, les individus, gouvernements et entreprises ont une compréhension nouvelle de l’agir collectif sur laquelle peut s’appuyer la communication relative aux changements climatiques. Présenter des gestes tangibles à poser pour prévenir et s’adapter aux changements climatiques ainsi que les effets du cumul de ces gestes peut aider à bâtir le sentiment d’efficacité personnelle et collective, qui représente une motivation importante à entamer des changements7,8. Il est d’autant plus important de fournir de tels outils que la mobilisation citoyenne est lourdement impactée par la situation actuelle (arrêt des manifestations pro- environnementales, utilisation accrue de plastiques à usage unique, etc.).

Cultiver la bienveillance

Au même moment, il importe aussi de se rappeler que les individus ne sont pas nécessairement prêts à penser à d’autres problèmes alors qu’ils sont toujours émotionnellement, socialement et financièrement affectés par la COVID-19. Les communautés ont besoin de prendre le temps de se rétablir. Une sensibilité accrue à la souffrance ressentie par plusieurs est donc nécessaire afin d’éviter de sembler déconnecté de la situation9.

Dans cette logique, un cadrage informationnel axé sur l’urgence climatique ne serait pas optimal. Étant donné la surcharge de nouvelles négatives, de changements et d’anxiété depuis quelques mois, mettre l’accent sur les dangers des changements climatiques et les transformations à réaliser peut s’avérer contre-productif. Selon une étude réalisée sur la communication des changements climatiques dans le contexte actuel, entamer des conversations avec les citoyens, les gouvernements, les experts et les entreprises sur la fragilité de nos sociétés (un constat que plusieurs ont fait pendant cette crise) serait plus efficace3. Corollairement, des thèmes comme le maintien d’une continuité malgré les changements, la préparation pour éviter les bouleversements futurs et le maintien d’une « bonne vie » résonnent aussi largement auprès des individus pour parler de changements climatiques en cette période.

Par ailleurs, considérant que les crises, comme celle-ci, tendent à amplifier les inégalités sociales, l’intolérance et la division10, il est particulièrement important de s’assurer que les messages mis de l’avant contribuent à réduire les inégalités et les divisions ou, à tout le moins, ne les exacerbent pas11. À cet égard, présenter des messages axés sur des valeurs communes telles que la collaboration, le soutien mutuel et la compassion sont à privilégier12.

Connaître son public

Enfin, la manière dont les perturbations relatives à la pandémie affecteront les dynamiques en place demeure largement inconnue et imprévisible. Aussi, il importe d’être particulièrement sensible aux besoins des différents publics lors de l’élaboration de messages relatifs aux changements climatiques afin de favoriser l’adhésion aux recommandations émises et d’éviter les réactions adverses. Des outils comme la recherche formative (permettant de préciser les caractéristiques du public ciblé, ses besoins, ses motivations et ses freins, etc.) et les prétests sont donc des alliés précieux. À cet égard, il est recommandé de tester les messages développés tant auprès des publics qui sont directement ciblés qu’auprès de publics indirects qui pourraient réagir aux messages publiés3.

Outre ces recommandations spécifiques à la communication des changements climatiques post-COVID, il faut aussi garder en tête qu’ultimement, les comportements évoluent13 :

  • lorsque les normes sociales se transforment;
  • lorsque les individus comprennent les raisons qui motivent les changements qui leur sont demandés;
  • lorsque ces raisons sont alignées avec leurs préoccupations;
  • lorsque les individus sont capables de mettre en œuvre ces changements.

Pourquoi la réponse à la COVID-19 est-elle plus efficace que la réponse à la crise climatique ?

Dès le début de la crise actuelle, les gouvernements, individus et entreprises se sont rapidement mobilisés et ont développé un système de soutien afin d’essayer de limiter les impacts négatifs du virus. À l’inverse, bien que les changements climatiques et leurs conséquences actuelles et à venir soient connus et décriés depuis plus de 30 ans, une telle mobilisation tarde à venir, tant du côté des autorités au pouvoir, que des citoyens et des entreprises.

Pourquoi ? Parce que la réponse à la pandémie est plus facile, simple et courte à mettre en place puis à retirer par la suite. En effet, le confinement, le lavage des mains et le port du masque sont des mesures temporaires qui ne remettent pas en question la structure socio-économique et technologique de la société à long terme. À l’inverse, les transformations nécessaires pour prévenir et s’adapter aux changements climatiques devront perdurer dans le temps et entraîneront des bouleversements importants sur les plans socio-économiques et technologiques.

Par ailleurs, la difficile mobilisation relative aux changements climatiques est aussi due à la distance perçue tant physique que temporelle entre ces derniers et les Québécois. Bien que les impacts des changements climatiques sur la santé et l’économie soient déjà perceptibles ici, ils demeurent davantage perçus comme étant lointains et incertains. Les risques et la probabilité d’en souffrir apparaissent ainsi plus faibles qu’ils ne le sont réellement14,15. Dans ce contexte, la prise d’actions à court terme pour répondre à de tels problèmes tend à être limitée. En outre, puisque les manifestations des changements climatiques demeurent ponctuelles et se matérialisent de diverses manières (inondations, vagues de chaleur extrême, vague de froid extrême, sécheresses, zoonoses, pollens allergènes, fonte du pergélisol, etc.), sans lien évident entre les occurrences, la tangibilité de l’enjeu tend à être faible, affectant par incidence la propension à la mobilisation16. À l’inverse, la proximité, la tangibilité et la soudaineté du virus et de ses conséquences ont contribué à la mobilisation rapide et importante observée17.

Malgré ces différences entre les deux problématiques, les changements rapides et importants adoptés pour faire face à la crise sanitaire actuelle nous donnent maintenant un exemple de notre capacité à agir.

Références

1 Pierrefixe, S. (2015). Changement climatique : menaces sur notre santé! Science & Santé, 28, 20- 35.

2 Leclerc, L., Siron, R., Logan, T. et Côté, H. (2015). Vers l’adaptation : Synthèse des connaissances sur les changements climatiques au Québec. Édition 2015. Montréal : Ouranos. Repéré à https://www.ouranos.ca/publication-scientifique/SyntheseRapportfinal.pdf

3 Webster, R., Corner, A., Clarke, J. et Capstick, S. (2020). Communicating climate change during the Covid-19 crisis: what the evidence says. Oxford: Climate Outreach

4 Van der Linden, S. (2017). Determinants and Measurement of Climate Change Risk Perception, Worry, and Concern. SSRN Electronic Journal.

5 Ohman, S. (2017). Previous Experiences and Risk Perception : The Role of Transference. Journal of Education, Society and Behavioural Science, 23(1), 1-10. Repéré à https://doi.org/10.9734/JESBS/2017/35101

6 Selby, D. et Kagawa, F. (2020). Climate Change and Coronavirus: A Confluence of Two Emergencies as Learning and Teaching Challenge. Policy &Practice, 104-114. 

7 Ajzen, I. (2005) Behavioral Interventions Based on the Theory of Planned Behavior. Repéré à https://www.researchgate.net/publication/245582784_Behavioral_Interventions_Based_on_the_Theory_of_Plan ned_Behavior

8 Fishbein, M, Ajzen, (2011) I. Predicting and changing behavior: The reasoned action approach. Taylor & Francis.

9 Messling, l., Corner, A., Clarke, J., Pidgeon, N.F., Demski, C. and Capstick, S. (2015). Guide Communicating flood risks in a changing climate. Repéré à https://climateoutreach.org/resources/communicating-flood-risks-in-a-changing-climate/

10 Farley, J. H., Hines, J., Lee, N. K., Brooks, S. E., Nair, N., Brown, C. L., Doll, K. M., Sullivan, E. J., et Chapman-Davis, E. (2020). Promoting health equity in the era of COVID-19. Gynecologic Oncology. Repéré à https://doi.org/10.1016/j.ygyno.2020.05.023

11 Boivin, M., Gamache, L., Gauthier, A., Lévesques, J., Poitras, D. et St-Pierre, J., (2020). COVID-19 : Stratégies de communication pour soutenir la promotion et le maintien des comportements désirés dans le contexte de déconfinement graduel. Institut national de la santé publique du Québec. Repéré à https://www.inspq.qc.ca/publications/3026-strategies-communication-promotion-comportements-covid19

12 Programme des Nations Unies pour le développement (2020). COVID-19 : le développement humain est en passe de reculer pour la première fois depuis 1990. Repéré à https://www.undp.org/content/undp/fr/home/news-centre/news/2020/COVID19_Human_development_on_course_to_decline_for_the_first_ time_since_1990.html

13 West, R., Michie, S., Rubin, G. J., et Amlôt, R. (2020). Applying principles of behaviour change to reduce SARS-CoV-2 transmission. Nature Human Behaviour, 4(5), 451-459. Repéré à https://doi.org/10.1038/s41562-020-0887-9

14 Moser, S. C. (2016). Reflections on climate change communication research and practice in the second decade of the 21st century: what more is there to say? Wiley Interdisciplinary Reviews: Climate Change, 7(3), 345–369.

15 Ellis, B. J., Figueredo, A. J., Brumbach, B. H., & Schlomer, G. L. (2009). Fundamental dimensions of environmental risk: The impact of harsh versus unpredictable environments on the evolution and development of life history strategies. Human Nature. 20(2), 204–268.

16 Davis, J. L., Le, B., et Coy, A. E. (2011). Building a model of commitment to the natural environment to predict ecological behavior and willingness to sacrifice. Journal of Environmental Psychology, 31(3), 257–265.

17 Powell, D. (2020). Covid-19 and the entelechy of rapid transition. Rapid Transition Alliance. Repéré à https://www.rapidtransition.org/commentaries/covid-19-and-the-entelechy-of-rapid-transition/

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