Le changement climatique est considéré comme la plus grande menace du 21e siècle pour la santé mondiale par l’Organisation mondiale de la santé. Il est généralement présenté comme une question environnementale, mais de récentes études suggèrent que cette façon unilatérale d’aborder cet enjeu a contribué à l'ambivalence du public sur cette question, tout en contribuant au manque d’engagement. Selon ces études, recadrer le débat est nécessaire ; faire passer le changement climatique d’un problème environnemental à un problème de santé permettra de générer un engagement plus fort du public sur les changements climatiques en général.
Afin d’évaluer s’il est plus efficace de parler du changement climatique en terme de santé publique ou de sécurité nationale, des chercheurs américains ont assigné au hasard des textes à six groupes en fonction de leur opinion sur le changement climatique, dans une étude menée par Teresa A. Myers (A public health frame arouses hopeful emotions about climate change). Les sujets ont été invités à lire des articles de presse sur le changement climatique qui mettent l'accent soit sur les risques environnementaux, soit sur les risques de santé publique, ou ceux de sécurité nationale. Les textes décrivaient aussi les avantages des mesures d'atténuation et d'adaptation. Les résultats montrent que pour tous les groupes de personnes, l'accent sur la santé publique était le plus susceptible de susciter des réactions émotionnelles cohérentes avec le soutien de l'atténuation et l'adaptation au changement climatique. Les résultats ont également indiqué, si le changement climatique est présenté comme un enjeu de sécurité nationale, que les réactions sont positives, mais peuvent être inverses pour les personnes déjà sceptiques.
Une étude canadienne, publiée en mars 2013, des chercheuses Francesca Cardwell et Susan Elliot confirment la nécessité de faire plus de liens explicites entre le changement climatique et la santé (Making the links: do we connect climate change with health? A qualitative case study from Canada). Les entrevues ont été réalisées dans la région du Golden Horseshoe dans le sud de l'Ontario auprès de 22 personnes. Seuls quelques participants ont fait directement le lien entre les changements climatiques et les enjeux de santé. Le fait que le public ne considère pas le changement climatique comme un risque important pour la santé représente, pour ces auteurs, un obstacle important au changement de comportement. Même si les participants sont conscients des enjeux environnementaux, ils ne sont pas perçus comme des déterminants importants de la santé, sauf s’ils se considèrent comme immédiatement concernés (comme pour la pollution de l'air à Hamilton).
Interrogés sur les « changements environnementaux globaux », 77 % des participants ont mentionné des impacts sur la santé, en particulier en ce qui concerne la pollution de l'air, les coups de soleil et le cancer, le stress thermique, et les catastrophes naturelles. Il est donc clair que le public est conscient du lien général entre les changements environnementaux mondiaux et la santé. Mais il est difficile pour les participants de décrire ces liens en détail ou de citer des impacts pour leur communauté ou eux-mêmes. Certains participants, sceptiques en ce qui concerne le changement climatique, sont cependant préoccupés par d’autres questions environnementales qui y sont étroitement liées, comme que la pollution de l'air. Il est donc efficace d’utiliser ces préoccupations préexistantes pour parler des impacts du changement climatique sur la santé. Dans cet esprit, des messages clairs de la santé publique provenant de sources dignes de confiance (par exemple les agences de santé publique) sont nécessaires pour que le public comprenne mieux et accepte les liens évidents entre le changement climatique et la santé.
Les participants sont prêts à agir de manière écologique. Pour changer leurs comportements, il faut que ces nouvelles habitudes présentent des avantages, comme des réductions de coûts. Les co-bénéfices pour la santé sont encore méconnus des participants. Par exemple, l’utilisation accrue du vélo est bénéfique pour la santé de l’individu et l’environnement, c’est une bonne approche, selon cette étude, pour inciter le public à adopter des comportements positifs pour l’atténuation ou l'adaptation.
Comme dans d'autres études, de nombreux répondants perçoivent les impacts du changement climatique comme temporellement et spatialement éloignés. Ils ne sentent ni vulnérables ni responsables de prendre des mesures d’atténuation. Pour rejoindre le public, la communication des risques devrait mettre l'accent sur des effets directs et observables. Dans la région du Golden Horseshoe, cela pourrait être les impacts du stress thermique sur la santé, en particulier pour les populations vulnérables comme les personnes âgées et les enfants. Cette approche serait utile pour encourager le changement de comportement, comme une utilisation accrue du transport en commun pour réduire les émissions. Les recherches montrent que les gens qui comprennent le changement climatique comme une menace actuelle et locale sont plus susceptibles d'appuyer la politique et de s'engager dans des actions personnelles. Évidemment, des études à plus grande échelle sont nécessaires, particulièrement en fonction des différents contextes géographiques et des différentes croyances culturelles, pour mieux comprendre les obstacles au changement de comportement du public au Canada.
Comprendre les conceptions et motivations de la population vis-à-vis le changement climatique et les risques sanitaires sera important pour les décideurs politiques et la communauté de la santé publique. Pour relever les défis de l'adaptation et de l'atténuation du changement climatique à l'échelle canadienne et mondiale, il sera de plus en plus important pour les décideurs politiques de faire réagir l'opinion publique sur les liens entre changement climatique et santé. Des organisations travaillent à faire connaitre ces enjeux au Canada comme Santé Canada et l’Institut national de santé publique du Québec, qui a développé le site Mon climat, ma santé.
Les résultats de cette étude confirment la pertinence des récents appels à recadrer le changement climatique d'un problème environnemental à un problème de santé publique. Cela permettra possiblement d'accroître la participation du public, les changements de comportement, et le soutien à la politique sur le changement climatique. Le changement climatique ne sera-t-il bientôt plus considéré comme un problème environnemental?
Sources:
- Making the links: do we connect climate change with health? A qualitative case study from Canada, Francesca S Cardwell, Susan J Elliott, BMC Public Health 2013
- A public health frame arouses hopeful emotions about climate change, Teresa A. Myers, Climatic Change 2012
- Climate change isn't just about the environment – it's a health problem, Adam Corner, Le Guardian, avril 2013